Le presbytère

Qui a encore cure du presbytère de Thiméon ?

 

Le premier curé connu de Thiméon était Liébert en 1171.

Il est fort vraisemblable que le patronage de la paroisse de Thiméon, c’est-à-dire le droit d’en nommer le curé, appartenait alors à l’abbaye de Liessies qui y avait acquis des droits, par donations de 1113 à 1126.








 

Dès 1188, Simon de Thiméon, cousin de Godescalc de Morialmé, encore jeune et vigoureux comme son parent, décide de marcher sur Jérusalem que Saladin vient de reprendre. Cette 3e croisade n’est-elle pas conduite par leur souverain, l’empereur du Saint Empire romain germanique, Frédéric à la barbe rousse, et par le prince-évêque de Liège ? Elle doit leur apporter gloire et indulgences.

Simon promet à la jeune abbaye de Floreffe de lui léguer la dernière partie de l’église qui lui appartenait, avec les droits de dîmes et de collation - ou patronage - qui s’y rapportent, et son alleu de Thiméon - son droit foncier dont seul l’empereur était suzerain, à l’exclusion du comte de Namur, Henri l’Aveugle – s’il n’en revenait pas. Et il n’en revint effectivement pas.

Une grande cure

 

Bien vite Floreffe acquit d’autres biens à Thiméon, pour devenir, dès la fin du 13° siècle, le principal décimateur, donc percevant les taxes offrant à l’abbaye ses moyens de subsistance. Les moines de Floreffe étaient des Norbertins, des gestionnaires, présents dans leurs « fiefs » au quotidien. Ils veillaient au spirituel, bien sûr, mais s’occupaient aussi souvent de l’administratif à la demande des comtes de Namur dans une féodalité encore peu organisée et plus prompte à sortir l’épée du fourreau que la plume de l’écritoire.

 

Très vite, ils contestèrent à Liessies, bénédictins cloîtrés près d’Avesnes, le patronage de la paroisse de Thiméon.

De cette seule paroisse ?

Que nenni ! Ils avaient si bien œuvré que l’église de Thiméon était mère église de Pont-à-Migneloux, de Villers-Perwin et de Ransart.

Le presbytère n’accueillait donc pas seulement le curé et ses vicaires, mais aussi plusieurs chanoines chargés des tâches évoquées plus haut.

 

Son emplacement précis serait téméraire à déterminer. Cependant, des archives de cure nous éclairent quelque peu à ce sujet. En 1741, Etienne Bellens, pasteur, constate que dans le jardin et autres terres environnantes, des fouilles ont montré la présence de fondations importantes : celles d’un grand hôpital. Ce même curé dit aussi que la maison presbytérale, à l’endroit où elle se trouve aujourd’hui, avait été brûlée lors de la terrible guerre de Hollande de 1674 à 1678. Il est plausible que son emplacement primitif ne devait pas être bien différent de celui que nous lui connaissons.













La spoliation

 

Mais laissons parler le curé Edouard Dubois qui s’exprimait en ces termes dans son Mémorial de la Paroisse rédigé en 1901 :

 

« L'ancienne résidence des religieux de Floreffe à Thiméon avait été [...] confisquée par la république Française pendant la grande Révolution de 1789. Le curé d'alors, M. Louis Bosquet, racheta sa maison pastorale et ses appendices sous le nom d'un de ses neveux Pierre Joseph Deghilage, résidant à Mons : "c'était aux temps affreux du Directoire" dit le registre. L'oncle mort en 1802, le neveu, contre la volonté manifeste de l'oncle, conserva la propriété de la maison.

 

Monsieur Offlain succédant en avril 1802 à M. Bosquet se trouvant sans maison, racheta cette maison pastorale en 1806 du consentement de son supérieur au prix de 200 louis ou 4752 frs (1901). La maison pastorale qu'il racheta ainsi était située sur 537 verges de terrain ; elle comprenait maison, prairie, jardin, étang.

 

La première atteinte à ces propriétés pastorales fut donc l'attentat de la république, suivie de la traitreuse aliénation du neveu du curé Bosquet dont on vient de parler. Quand M. Offlain eut racheté ces biens, il loua, dès 1809, les trois prairies de la cure, la grande partie de la grange, les fenils à Nicolas Chaudron [...]. Il fit de même un bail de 50 ans le 21 décembre 1819 en faveur de Jean Chaudron. Mais, par son testament du 22 octobre 1819, M. Offlain déclare :

"je donne et lègue en toute propriété à ladite commune de Thiméon, ma susdite maison presbytérale, jardin, vergers et leurs appartenances et dépendances, sans exception ni réserve, à charge et condition

1.  de payer à la fabrique de la dite église la rente de 12 florins

2.  de loger dans cette maison à perpétuité et de laisser suivre pour l'usage et l'usufruit seulement, sans exception ni réserve, tous les objets compris dans le présent legs, ou le revenu des parties qui seraient affermées, exempt du service de ladite rente, à tous curés ou desservants qui me succéderont à l'avenir à la dite église et dans les fonctions que je remplis ... au prêtre bien entendu du culte catholique, apostolique et romain, ... ne voulant pas que cette faveur profite à d'autres religions, mais que tous mes successeurs jouissent de tout, comme moi durant tout le temps de leur mission seulement."

 

Ces dispositions devaient prendre cours à son décès qui arriva le 7 avril 1826 à Floreffe où il s'était retiré démissionnaire le 30 avril 1825. Mu par la pensée que les communes devraient en général fournir aux ministres du culte le logement, le testateur avait donc voulu soulager la commune de Thiméon de pareille obligation en assurant à jamais une position convenable au curé. Le conseil communal le 23 juin 1826 accepta ces conditions.

 

Ce fut là une disposition qui, à plusieurs reprises créa des difficultés aux curés de la paroisse.

Jamais depuis 1826, la commune n'a voulu faire à la cure ni petites, ni grosses réparations.

 

En 1854, M. le curé Dufour fut attrait en justice par la Commune pour avoir, en qualité d'usufruitier, abattu quelques arbres.

Il fut condamné.

En 1863, le collège communal fit construire les écoles sur une partie de ces biens ; il s'engagea de ce chef à payer au desservant, une rente de 81 francs.

En 1880, la question d'usufruit est discutée ; elle est encore admise.

En 1883, le desservant est mis en demeure de quitter la cure comme l'occupant illégalement à cause de la déchéance de la Fabrique : une circulaire du gouvernement catholique de 1884 résout la question en faveur du curé.

Enfin, en 1896, la commune intenta à M. Edouard Dubois, un long procès pour le déposséder de l'usufruit de ces biens : ce procès, terminé le 22 avril 1899, maintient le curé en jouissance à perpétuité de la Cure et du jardin enclos de murs, qui restent possession de la Commune ; le reste des biens sera possédé par la Commune, sans charges vis-à-vis du curé. »

 

Notre patrimoine en lambeaux ?

 

Voilà pour l’histoire. Revenons au présent.

 

Le 13 décembre 1990, arrive de Sainte-Elisabeth à Mons, l’abbé Joseph Marie Gosselin. Il vient assister le père Michel, nouveau curé de Thiméon et d’autres paroisses. Ce dernier élit domicile au presbytère de Luttre. L’abbé Gosselin s’installe donc chez nous. Victime de problèmes de santé, sa vue baisse rapidement, mais il continue à exercer son ministère. C’est un érudit à la culture très éclectique et sa vaste bibliothèque s’empoussière. Il prie et attend sa fin en confiant à ses proches que la crise de la vocation et le désintérêt pour la foi sonneront bientôt le glas de la « cure » : l’Administration aurait l’intention de la raser pour y construire des appartements.

 

Le 30 septembre dernier, le prêtre a rejoint le créateur et les rumeurs de bétonnage apparaissent déjà çà et là.

L’histoire hoquèterait-elle et le jugement du 22 avril 1899 serait-il caduc ?

Thiméon doit-il devenir un village sans âme, une banlieue dortoir de Bruxelles ou Charleroi ?

Sa place qui accueillait autrefois balle pelote, ducasse, procession et autres manifestations sportives, a vu s’implanter un immeuble dont l’église a beaucoup souffert.

Et ce n’est peut-être pas en coupant ras nos racines que nous étofferons les catalogues de l'Adeps, de l'Initiative Val de Sambre et des Journées du Patrimoine.

N'avons-nous pas un devoir de mémoire, une obligation de respect à l'égard de nos pasteurs qui nous ont servis, parfois au péril de leur vie ?

Le futur se bâtit sur le socle du passé et non sur ses cendres.

Détruire le patrimoine, c'est un peu Œdipe qui resurgit, c'est oublier l'enseignement de nos anciens pour montrer que l'on peut faire mieux sans eux.

 

Soyons humbles, face à plus de mille ans d'histoire.

Notre séculaire presbytère le mérite bien.